FÉE MÉL'USINE
Elle fume, elle crache, elle pue, parfois elle s'enflamme ou elle explose ; on parle d'elle dans les journaux, elle jure dans le paysage, elle fait un peu tâche et vous n'aimez pas forcément dire à vos amis que vous vivez près d'elle. Faut bien habiter quelque part mais la colocataire est lourde à assumer. D'ailleurs, ils sont nombreux, les Bassenais, à faire comme si elle n'était pas là, juste en bas de chez eux.
Moi, je la vois de ma fenêtre. Elle me fait de l'œil. Je la trouve vulgaire. Elle gène la vue. Elle grossit à vue d'œil, étalant ses tuyaux, ses fûts, ses silos, ses verrues sous mes yeux qui n'apprécient que la beauté de la nature qu'elle évince.
Ce matin, par exemple, le soleil l'a dévoilée vers 8h, drapée dans son paletot de brume. Elle avait de la gueule. Mais justement c'est sa gueule, sa sale gueule, qui se dévoilera dans la journée, quand elle se défera du brouillard.
D'autres matins brumeux, elle a posé pour moi, avant de redevenir une simple zone industrielle, territoire de bruit, d'acier, de vapeurs âcres, de crasse, d'industries qu'on préférerait ignorer.
Et puis voilà le soir et la lumière l'effleure, la caresse, gomme ses imperfections, ses difformités.
Sur l'horizon cramoisi, le soleil l'enflamme et la magnifie. Ils s'embrassent, elle s'embrase. Ils brûlent jusqu'à la nuit. Puis la Z.I. s'allume et le soleil s'annule.
Magicienne, elle allume ses petites étoiles qui papillotent au sol, miroir du cosmos au dessus.
Les fumerolles se hissent le long des grues de chantier, grimpent à travers les flèches. C'est l'incendie qui s'apaise, la terre qui se détend, le chaudron de la fée qui tiédit.
Beauté cachée de la laideur des villes, révélée par le génie du crépuscule.
©Texte et photos Françoise Duret