LES TOILES MYSTÉRIEUSES
Chantal peint les gens. Des courbes et des lignes forment les silhouettes. Un aplat de couleur, une matière, un geste. Une enveloppe humaine dans laquelle tout un chacun peut se reconnaître, se glisser, se plier, s'écrire et se raconter. Une peau douce, sans bosse et sans rugosité, et pourtant pas parfaite. Juste ce qu'il faut de défauts. De profil, en vis à vis, en accordéon, ou bien faces cachées, les silhouettes se répètent sans jamais se redire et semblent dialoguer d'une œuvre à l'autre.
Chantal peint les oiseaux. Des hirondelles volettent à travers l'atelier au milieu des nuages et des étoiles. Parfois elles virevoltent sur de petits cabochons et vont orner une boucle d'oreille ou une bague. Pour trois fifrelins, on peut porter en pendeloque un dessin de Chantal aux oreilles.
Chantal trafique des bords de mer, normands de préférence, mais pas que. Cartographie poétique difficile à replier où l'on aime plonger et se perdre. Elle tortille des kilomètres de littoral, bricole des hectares de cartes Michelin (au 1/1000ème, je vous laisse faire le calcul) et fabrique des petites pantoufles ou des portraits topographiques étonnants. Profils côtiers, rivages humains. On aimerait les frôler du doigt pour sentir sous la pulpe la falaise d'un nez ou le cap d'un menton.
Et puis Chantal écrit des textes qu'elle imprime et relie. Des petits livres uniques et rares qui donnent à voir sans apprêt un petit supplément d'âme. Des récits, des impressions, des émotions dans lesquels on peut entrer sans se frapper.
Chantal enfin utilise tout, du sol au plafond. Elle a inventé (et breveté, pas la peine de tenter de contrefaire) un système ultra au point pour isoler son appartement au dessus de l'atelier. Les invendus sont habilement roulés selon une méthode longuement mise au point, et calés entre les poutres du plafond. Les archivistes du Louvre peuvent en prendre de la graine. Sa chapelle Sixtine à elle, au 34 rue Camille Sauvageau. Quand au sol, c'est sa palette. Une explosion de couleurs qu'on piétine joyeusement tous les 2èmes week-ends du mois quand elle ouvre l'atelier à la visite.
Bon sang que ce fut long, et pourtant si simple d'écrire et de peindre Chantal !
Je ne saurais la tracer, ni la délimiter, tant ses rivages me semblent changeants, ses plages sauvages libres, ses herbes folles folles.
Maintenant, ça y est, je l'ai fait ! J'ai mis un mois et demi... Je vais pouvoir enfin retourner sans honte me perdre et me trouver dans son petit atelier.
©Texte et photos Françoise Duret