TOUT DOIT DISPARAÎTRE
Ainsi disparaîtra toute trace. Aujourd’hui s’effacera, sous l’effet du temps et des désirs changeants des hommes.
Comme de grands enfants casqués au sommet d’un tas de sable, jouant avec des bulldozers miniatures, ils grignotent, évident, attaquent, redessinent, remodèlent, transforment, avant de sauter sur un nouveau tas.
Ils s’activent là où d’autres avant eux avaient creusé la falaise pour en extraire la craie, faisant disparaître les étages pour ne laisser derrière eux que le ciel.
Ceux qui viennent n’ajouteront pas que le béton au béton. Ils feront pousser des immeubles et, si la terre est bonne, sèmeront des billets pour la prochaine moisson. Ils inaugureront des squares, dresseront des lieux de loisirs, feront couler des cascades. Ici s’élèveront des constructions et, si tout va bien, des enfants. On y jouera encore. On y vivra autrement. On y mourra peut-être.
Et nous aussi, mon ange, nous disparaîtrons.
Ce n’est pas un bouleversement. Juste une transformation. Une de plus, minuscule à l’échelle du monde.
Nous laisserons derrière nous nos suivants, porteurs de nos fardeaux ou délestés de nos charges. Après eux, d’autres viendront qui regarderont nos photos en se demandant qui étaient ces gens. Ainsi disparaîtra toute trace.
Ainsi se renouvelle le monde.
Toi, moi, ce petit groupe qui marchait en file indienne ce 24 octobre, offrant leurs visages lisses au soleil et pointant leur nez dans le vent, ne sommes que de passage. Nous vivons, inconscients de la terrible et merveilleuse impermanence des choses et des êtres.
Alors respire et ouvre-moi tes bras, avant que ce passage étroit ne se referme.
Respire et goûte à toute chose. Attrape toutes les branches et grimpe.
Cueille les fruits les plus hauts, les plus mûrs. Attaque à belles dents. Savoure.
Court. Escalade les murets, gravit les collines, franchit les ruisseaux, dérape, vrille, éclabousse. Essaie encore, rate encore, rate mieux*.
Et fais de chaque jour une nouvelle fête.
©Photos et texte Françoise Duret (avec l’involontaire participation de Samuel Beckett).