ARLETTE IT BE !
Ah, retrouver un instant son âme d'enfant ! Faire la queue au milieu des grands devant l'immense portail, les pieds gelés, le cœur battant. Avoir le nez qui coule un peu, se faire les poches, à gauche, à droite, un bonbon fondu oublié, pas de mouchoir, tant pis. Ce sera pour la manche. Tirer sur le manteau de maman pour ne pas se perdre dans la foule ni se faire dévorer par une otarie...
Et puis, passé le portail, s'immerger dans les odeurs âcres et épaisses de la ménagerie. Vous avez déjà avalé un éléphant ? Moi j'en ai pris une goulée. Ça refoule du goulot, un éléphant. Et puis ça éternue, avec son nez en trompette. Sur l'objectif du photographe. Ça a le buccin farceur, un éléphant.
Les chameaux sont charmeurs, avec leurs beaux yeux globuleux. Les autruches à faux-cils, un peu marteaux, se poussent du col derrière les grilles. L'otarie prend un énième bain dans une piscine minuscule. Les chevaux sont curieusement sanglés dans leurs boxes. La ménagerie, mais l'animal ne rit pas. On est un peu gêné, à regarder les marsupiaux comme des bêtes de foire, quand ils nous lancent leurs regards par en dessous. On cherche au mur les petites barres tracées à la craie qui décompteraient les jours d'emprisonnement. Mais nada. Il semblerait qu'on n'ait pas fourni de craies aux animaux.
Quand on les retrouve sur la piste, ils ont l'air heureux, pourtant. Leur dresseur est là, qui les cajole ou les serre dans ses bras (là, je parle des otaries, parce que, hein, c'est bizarre, mais le dresseur de fauves n'a pas trop câliné le tigre). On leur donne des sardines ou de la viande pour les récompenser. À croire que dans le zoo, c'est de nous qu'on les préserve, les animaux...
Quand viennent les chevaux, c'est une autre histoire. Il y a le grand chef, Lucien, le patriarche, qui dresse ses pur-sang et sa fille en même temps. Sa fille est belle, elle a du chien. Pour diriger les chevaux, avoir du chien c'est plutôt bien. Mais la bergère a trouvé son maître. Faut pas plaisanter avec Lucien, ça se sent bien. Le maître-étalon, c'est lui.
Et puis il y a les petits numéros improbables.
Un gamin qui fait faire coucou à un avion télécommandé. Au début on n'y croit pas, et soudain, le brouhaha s'éteint autour. Il n'y a plus que lui, nous et cet aéroplane comme une mésange, comme un ange.
Un dresseur de ragondins, affublés de toisons de luxe. Pas du genre à fréquenter les galeristes des berges de Garonne. L'aristocratie des rongeurs.
Une superbe blonde platine qui jongle avec cinq ballons.
Des mecs tout en muscles qui propulse une voltigeuse comme une plume tout en haut du chapiteau.
Et tous ces gosses, des miettes de croissant plein les joues, les yeux ronds. Certains perdus ou terrifiés. D'autres épuisés. Tous avec leurs parents extasiés à côté. À se demander qui fait l'enfant.
©Texte et photos Françoise Duret