GEOMETRIE INVARIABLE
Pas une courbe. Un arc. Une sinuosité. Un truc qui chavirerait le regard et donnerait envie de courir s’y planquer. Peu de couleurs. D’invention. De folie. De singularité. Au mieux, des diagonales, des immeubles classés X et même XXXXX. Les blocs succèdent aux barres qui succèdent aux cubes. Le noir se mêle au gris foncé. Soudain, un pauvre arc de cercle et on chope le tournis. Une dorure et on est ébloui.
L’architecte, ici, aimait donc les règles au point de les ériger en principes ? Avait-il paumé son compas ? Marre du tracé à main levée ? Pas un peu envie de trembloter sur sa feuille ? De changer ? De vibrer ? De foirer ?
Les noms des résidences font, eux, des fantaisies, pas avares en circonvolutions du bulbe. Apostrophe et Préface (de vrais littéraires, les pros du branding), Orion (pour les étoiles dans les yeux), Biloba (of course), Mandala (Nelson était pris), Nérée (hideux), Gaïa (née du Chaos), Cybèle (mais pas trop)…
Pas de mystère, alors ? Pas de secret ? Que des droites bien raides, des angles, des lignes rigoureuses et des plans superposés ?
Et puis, d’où vient cette impression d’avoir déjà mis les pieds ici ?… Je veux dire, il y a moins de 10 ans. Cette sensation de déjà vu ? D’avoir déjà cheminé le long de ces immeubles et de ces rues, frôlé ces portails et ces entrées, toisé ces lampadaires et ces poteaux ? Cette impression de clonage, de quartier photocopié, de multiplication des petits parpaings ? De Belcier ? Des Bassins à flot ? De Niel ? De Brazza ? Du Belvédère ?
Heureusement, il y a les noues, ces grandes jalles qui font entrer le lac dans les rues. Un peu canal boiteux mais le miroir d’eau a finalement du charme, avec ses graminées qui contrebalancent un peu l’austérité des lieux, offrant leurs courbes en vert et or au soleil printanier.
Heureusement, il y a les recoins dissimulés, les espaces outre-portails, les jardins suspendus qu’on peut espérer généreux, mais qui resteront à peine visibles de la rue.
Heureusement, il y a les arbres. Il en reste une bande, moitié sauvages, moitié apprivoisés, le long des berges du lac et dans ce qu’il reste de la pinède, et quelques spécimens de pins isolés derrière les grilles du square.
Heureusement, il y a les oiseaux, exhibant leurs ventres replets et la douceur printanière de leurs chants au soleil frémissant.
Heureusement, il y a les humains. On en a croisé quelques-uns, un qui promenait ses enfants dans une allée engazonnée près d’une maison d’architecte voulue comme celles de la cité Frugès, siglées Le Corbusier. On en a croisé aussi qui faisaient leurs courses. C’était un dimanche tout pareil à un samedi.
Un beau dimanche dans le meilleur des éco-quartiers possibles.
©Textes et photos Françoise Duret